Prix négatifs de l’électricité : de quoi parle-t-on ?

Depuis 2023, les heures à prix négatifs sur le marché de l’électricité en France et en Europe se sont considérablement multipliées. Alors que ces heures ne représentaient en moyenne que quelques heures par an jusqu’en 2022, elles ont atteint 183 heures en 2023 en France (2,12 % du temps sur l’année) et 560 heures heures en 2024 (6,3 %). De janvier à mai 2025, la France comptabilise d’ores et déjà près de 228 heures à prix négatifs. Ce phénomène est principalement lié à une surabondance de l’offre par rapport à la demande d’électricité.

Cette dynamique s’explique par l’augmentation rapide de la production d’énergies renouvelables intermittentes (solaire et éolien) dans le mix énergétique européen, associée à une faible capacité de stockage et à des mécanismes de soutien incitatifs, même en cas de prix négatifs. La production solaire, notamment, a atteint des niveaux records lors des vagues de chaleur de l’été 2024 (8,87 TWh produits), entraînant de nombreuses périodes de prix bas. La France, avec son parc nucléaire majoritaire, peine à ajuster rapidement sa production lors des variations de la demande, ce qui explique la fréquence accrue des prix négatifs.

Le mécanisme des prix négatifs de l’électricité

Les prix négatifs apparaissent ponctuellement lorsque les producteurs acceptent de payer pour injecter de l’électricité sur le réseau, plutôt que d’arrêter leurs installations. Cela survient souvent lors de périodes de forte production renouvelable avec du solaire et de l’éolien, ainsi que d’une faible demande, par exemple en début d’après-midi ou le week-end. En général, les prix négatifs se concentrent entre 12h et 16h (forte production solaire) et durant les week-ends (demande plus faible de 5,3 GW par rapport aux jours ouvrés en moyenne en France).

Les coûts d’arrêt, souvent élevés pour les centrales nucléaires et thermiques à flamme, incitent les producteurs à maintenir leur production même lorsque les prix sont négatifs, bien qu’elle soit plus faible. Ils réalisent ainsi une perte sur le marché SPOT lorsqu’ils revendent leur électricité, bien que celui-ci ne puisse descendre en dessous de – 500 €/MWh. Les producteurs opérant ces centrales se rattraperont ensuite sur les heures à prix positifs, majoritaires, pour réaliser un profit. Les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, tels que les obligations d’achat (OA), favorisent la poursuite de la production en période de prix bas, puisque l’Etat va verser, en tous les cas, une somme au producteur pour chaque MWh qu’il produit, indépendamment du prix sur le marché. Ainsi, la combinaison d’une production renouvelable abondante, d’une faible demande et d’un manque de flexibilité du réseau conduit inévitablement à des prix négatifs.

Facteurs d’apparition des prix négatifs dans l’électricité

Les prix négatifs sont principalement dus à quatre facteurs principaux :

  • Surproduction d’électricité renouvelable : lors de journées très ensoleillées ou venteuses, la production excède largement la demande, notamment lorsque la consommation est faible (week-ends, jours fériés). Les producteurs d’énergie renouvelable sont souvent incités à continuer de produire, même en cas de prix bas, en raison des subventions et des obligations d’achat garanties par contrat.
  • Rigidité des centrales conventionnelles : les centrales nucléaires et thermiques ont des coûts de redémarrage élevés et des contraintes techniques qui les rendent moins flexibles. Plutôt que d’arrêter complètement leur production, elles préfèrent supporter un prix négatif sur une courte période.
  • Manque de flexibilité du réseau et du stockage : le réseau électrique manque de dispositifs capables d’absorber rapidement les surplus d’énergie. Les capacités de stockage par batteries ou STEP (stations de transfert d’énergie par pompage) sont encore insuffisantes pour réguler efficacement ces fluctuations. Par exemple, la France ne disposait en 2023 que d’un peu plus de 800 MW de capacité de batteries installées pour stocker de l’électricité, contre 5 GW pour les STEP. Afin d’éviter à la fois une plus grande récurrence des prix négatifs et de produire de l’électricité sans débouchés, la situation en Californie peut servir de cas d’école et de modèle d’inspiration pour les Etats au mix électrique très porté sur le renouvelable, ou qui connaissent plus souvent des prix SPOT inférieurs à 0 €/MWh.
  • Manque de flexibilité des consommateurs qui sont souvent engagés avec des contrats à prix fixe et ne peuvent donc bénéficier de signaux intéressants. Les prix négatifs, qui sont observables sur le marché du SPOT, peuvent potentiellement avoir une incidence sur les prix à terme (mensuels ou annuels) et peuvent théoriquement représenter un gain. Cependant, la moindre rentabilité de certaines centrales de production, difficilement interruptibles en cas d’apparition de prix négatifs, peuvent induire une hausse pour le consommateur via d’autres mécanismes, notamment sur celui de la capacité, dont le coût initialement supporté par le fournisseur est répercuté au consommateur.

Conséquences économiques, écologiques et recommandations

Les prix négatifs représentent une perte économique pour le système énergétique. Lors des heures à prix négatifs, les pertes pour le parc français sont estimées à 80 millions d’euros pour le premier semestre 2024 à titre d’exemple, touchant principalement les filières nucléaire et hydroélectrique. Pour atténuer ces pertes et améliorer l’efficacité du système, plusieurs leviers peuvent être mis en oeuvre :

  • Amendement des dispositifs de soutien aux EnR : les contrats d’obligation d’achat doivent intégrer des clauses incitant à arrêter la production en cas de prix négatifs, avec une compensation équitable pour les producteurs. En effet, l’Etat doit supporter un certain coût en cas de période de prix négatifs et de production renouvelable couverte par les obligations d’achat. A titre d’exemple, l’Etat a dû verser près de 15 millions d’€ au 1er semestre 2024 à destination des acteurs obligés pour compenser leurs ventes à prix négatif.
  • Renforcement de la flexibilité et du stockage : accroître les investissements dans les technologies de stockage (batteries, STEP) et encourager les consommateurs à ajuster leur demande en fonction des pics de production. Les systèmes de gestion intelligente (smart grids) peuvent aussi mieux piloter l’ajustement de la charge. Le tout aurait pour effet de réduire l’occurrence et l’amplitude des heures à prix négatif. De même, certaines centrales thermiques ne peuvent pas s’arrêter et redémarrer de manière rapide et les coûts seraient trop importants, elles continuent donc ainsi de produire, même en cas de prix négatifs et d’absence de demande. Cela entraîne des émissions de CO2 inutiles. Grâce au stockage néanmoins, cette électricité produite pourrait être réutilisée ultérieurement et réinjectée sur le réseau lors des pics de demande (8h – 10h ou 18h – 20h).
  • Amélioration de l’intégration des EnR au réseau : les parcs éoliens et solaires doivent participer aux mécanismes d’équilibrage en fournissant des données de production précises en temps réel. Une coordination accrue entre les gestionnaires de réseau permettrait de mieux anticiper les fluctuations.
  • Abaissement du seuil de puissance des installations obligées de s’arrêter en cas de prix négatifs.
  • Instauration d’heures creuses pendant les heures solaires

Impact sur les échanges internationaux

Lors des heures à prix négatifs, la France reste exportatrice dans 85 % des cas, mais avec des volumes réduits de moitié par rapport aux heures à prix positifs (- 4 GW). La baisse des échanges est particulièrement marquée avec l’Allemagne et la Belgique, également confrontées aux prix négatifs. Cependant, les interconnexions permettent de limiter l’impact en exportant une partie de la surproduction vers des pays où la demande reste élevée.

Perspectives et conclusion

L’augmentation des heures à prix négatifs n’est pas en soi un dysfonctionnement du marché : elle traduit au contraire une tension structurelle entre l’essor rapide des énergies renouvelables et l’inertie des cadres de soutien et d’exploitation. Pour prévenir des inefficacités économiques et améliorer la résilience du réseau, il est crucial d’investir dans des infrastructures de stockage, de développer des dispositifs de régulation en temps réel ainsi que d’incitation (déplacer les heures creuses par exemple) et de renforcer les capacités d’échange entre les pays européens. Moderniser les infrastructures et adapter les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables constituent des priorités stratégiques pour garantir un système électrique durable et efficace.

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