La France s’apprête prochainement à tourner la page de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) au 31 décembre 2025 pour lui substituer un nouveau dispositif : le Versement Nucléaire Universel (VNU). Ce mécanisme, applicable dès janvier 2026, doit viser à mieux protéger les consommateurs contre les flambées de prix tout en assurant à EDF une rémunération plus cohérente avec les coûts réels du parc nucléaire, afin de financer sa maintenance et son renouveau. Face à ce changement d’envergure de la réglementation française en terme d’encadrement de son marché, que peut-on attendre de ce nouveau dispositif pour la compétitivité du prix de l’électron français ?
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Le passage de l’ARENH au Versement Nucléaire Universel (VNU) : éléments de contexte
Quelques rappels sur l’ARENH : mis en place par la loi NOME de décembre 2010 et entré en vigueur le 1ᵉʳ juillet 2011, l’ARENH obligeait EDF à vendre à ses concurrents une fraction de sa production nucléaire à un tarif régulé de 42 €/MWh, dans la limite de 100 TWh par an. L’objectif était double : ouvrir le marché à la concurrence tout en faisant bénéficier tous les consommateurs finaux, via leurs fournisseurs, de la compétitivité de l’électricité nucléaire historique d’EDF. En pratique, environ un quart de la production nucléaire française était cédé à prix fixe aux fournisseurs alternatifs, assurant des tarifs stables et bas tant que le marché de gros restait au-dessus de 42 €/MWh.
Ce mécanisme a toutefois montré ses limites lors de la crise énergétique de 2022-2023. Face à l’envolée des prix de gros (jusqu’à 600–1000 €/MWh), tous les fournisseurs ont demandé le maximum d’ARENH, soit bien au-delà du plafond annuel (jusqu’à 160 TWh demandés). EDF n’ayant pu allouer qu’environ 60 % des volumes demandés au tarif régulé, les fournisseurs ont dû acheter le solde sur le marché à des prix exorbitants, provoquant une hausse brutale des factures des clients finaux malgré le bouclier de l’ARENH. Par ailleurs, EDF était contraint de vendre à 42 €/MWh une partie de sa production alors même que les prix explosaient. En 2022, plus de la moitié des réacteurs étaient indisponibles, le coût complet du nucléaire devait alors bien dépasser les 42 €/MWh, et EDF a subi un déficit opérationnel de plus de 17 milliards d’euros en parallèle. L’ARENH est donc devenu financièrement insoutenable pour EDF et insuffisant pour protéger les consommateurs en cas de crise majeure des marchés.
Le remplacement de l’ARENH fait donc sens, et était de toute manière amené à disparaître à la fin de l’année 2025, selon la loi qui l’encadrait et l’accord conclu à ce propos entre la France et la Commission Européenne, afin de ne pas enfreindre la réglementation européenne sur la concurrence entre Etats membres. La Commission Européenne a d’ailleurs donné son blanc-seing sur le dispositif du VNU, en le déclarant compatible avec les règles du marché intérieur. Également, le tarif à 42 €/MWh n’a jamais été relevé depuis 2011 et reste bien inférieur au coût complet du nucléaire français, estimé à un peu plus de 60 €/MWh par la CRE pour les prochaines années. Ce décalage privait EDF des moyens suffisants pour investir dans la prolongation de ses réacteurs existants (grands carénages) en plus de pouvoir réaliser la construction de nouveaux EPR. C’est donc dans ce contexte que le VNU a été entériné, dans l’article 4 de la loi de finances n°2025-127 du 14 février 2025, avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2026.
Qu’est-ce que le mécanisme du Versement Nucléaire Universel (VNU) ?
Le VNU se présente comme un mécanisme de protection ex-post contre les excès du marché de gros. Concrètement, EDF continuera à vendre toute sa production nucléaire sur le marché (contrats bilatéraux ou bourse) au prix du marché, sans limitation de volume ni prix imposé. Ensuite, si les revenus tirés de cette vente dépassent un certain niveau, l’État ponctionnera une partie de cet excédent, sous la forme d’une taxe spécifique pour le redistribuer aux consommateurs sous forme d’une remise sur leur facture d’électricité. Inversement, en cas de prix bas, aucun prélèvement ni compensation n’est appliqué. EDF assumera donc le risque de prix à la baisse comme n’importe quel producteur, mais n’est plus forcé de vendre à perte comme cela a pu être le cas avec l’ARENH.
Le cœur du VNU réside dans deux seuils de prix au-delà desquels la redistribution s’active de manière progressive. Ces seuils sont définis par rapport au coût complet du nucléaire historique évalué par la CRE à 60,7 €/MWh pour la période 2026 – 2030. D’après l’accord État-EDF de novembre 2023, confirmé par la loi de finances 2025, les valeurs retenues par rapport au prix de marché sont :
- Premier seuil : de +5 à +25 €/MWh au-dessus du coût complet du nucléaire historique. Au-delà de ce niveau, EDF devra reverser 50 % des revenus unitaires excédant le seuil.
- Deuxième seuil : de +35 à + 55 €MWh au-dessus du coût complet du nucléaire historique. Au-delà de ce niveau, 90 % des revenus seront prélevés au bénéfice des consommateurs.
En d’autres termes, entre environ 80 et 110 €/MWh, la moitié des “superprofits” du nucléaire sera redistribuée, et au-delà de 110 €/MWh, la quasi-totalité (90%) sera restituée pour atténuer fortement l’impact de prix extrêmes. En dessous d’environ 78 €/MWh, EDF conserve l’intégralité des recettes, il n’y aura aucune redistribution, le prix étant considéré comme normal vis-à-vis des coûts. Ces seuils précis seront fixés par un décret attendu d’ici fin 2025, pour une première période d’application de 3 ans. Ce décret fixera les valeurs chiffrées des seuils de prix, les modalités de calcul du tarif unitaire, les dates de période d’application ainsi que les procédures de régularisation entre la CRE, EDF, les autres fournisseurs et les consommateurs.
Le versement aux consommateurs prendra la forme d’une réduction de prix appliquée sur les factures d’électricité, visible sous une ligne intitulée par exemple “Versement nucléaire universel”. Cette ristourne s’appliquera de plein droit sur tous les contrats de fourniture, pour les offres de marché comme pour les tarifs réglementés dès lors que le VNU est activé. Son montant unitaire (en €/MWh ou c€/kWh) sera calculé de manière à reverser l’intégralité des sommes collectées via la nouvelle taxe nucléaire, aux pro-rata des consommations de chacun. De ce fait, tous les consommateurs, qu’ils soient clients EDF ou d’un autre fournisseur, particuliers ou entreprises, recevront la même réduction par kWh lorsque le VNU s’enclenchera, sans distinction sur les consommations réalisées. L’objectif affiché est de “lisser les prix, éviter les pics déraisonnables et garantir une certaine équité d’accès à la production nucléaire” tout en permettant à EDF de financer l’entretien et le renouvellement de son parc.
Étant un dispositif ex-post, le VNU ne délivrera ses bénéfices qu’après constatation des revenus effectifs d’EDF sur une année. Toutefois, pour donner de la visibilité en amont, la loi prévoit qu’EDF communique chaque année ses prévisions de revenus nucléaires à la CRE, afin que celle-ci anticipe le cas échéant une remise VNU à appliquer dès l’année suivante. Des mécanismes de régularisation viendront ensuite ajuster l’écart éventuel entre l’estimation et la réalité constatée, via des corrections sur les factures ultérieures. Le but est de faire bénéficier les consommateurs le plus rapidement possible des gains excédentaires du nucléaire, sans attendre la fin de l’année, tout en évitant des sur-compensations ou sous-compensations grâce à un ajustement a posteriori.
Enjeux économiques et politiques du VNU : quels risques associés ?
Le VNU poursuit avant tout un objectif d’équilibre, en permettant à EDF de dégager des revenus plus en phase avec ses besoins d’investissements : maintenance du parc vieillissant et construction de nouveaux réacteurs évaluée à plus de 50 milliards d’euros d’ici 2035 tout en évitant des prix prohibitifs pour les consommateurs en cas de nouveau choc sur les marchés. Politiquement, l’État actionnaire d’EDF et garant de l’approvisionnement électrique a dû composer avec les injonctions parfois contradictoires de protéger le pouvoir d’achat des ménages, préserver la compétitivité des entreprises et financer la filière nucléaire. La fin de l’ARENH a fait l’objet de vifs débats, elle était réclamée par EDF et le gouvernement au nom de la “souveraineté énergétique” et de l’alignement sur le marché, mais redoutée par certains consommateurs qui y voyaient la fin d’un « bouclier tarifaire » invisible qui avait longtemps contenu les prix et démontré son efficacité sur les factures. Avec ce nouveau mécanisme, EDF se retrouve sans réelle régulation sur son prix de vente ou sur ses volumes, ce qui constitue une situation plutôt unique depuis la libéralisation progressive du marché de l’électricité.
A la vue des éléments disponibles aujourd’hui, il est possible d’anticiper que, hors situation de crise extrême, le nouveau dispositif sera moins avantageux que l’ARENH pour les consommateurs. En effet, la référence de prix passe de 42 €/MWh à 60 €/MWh, ce qui mécaniquement entraîne un relèvement du coût de base de l’électricité en France. La suppression de l’ARENH pourrait se traduire par une hausse généralisée des coûts d’électricité pour les entreprises, le VNU n’apportant qu’une protection limitée qui ne compensera pas entièrement la perte de stabilité et de compétitivité de l’ancien dispositif. Selon l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, le tarif réglementé pourrait augmenter en moyenne de l’ordre de +19 % en 2026 du fait de la réforme, soit environ +250 € par an pour un foyer moyen. Normalement, le VNU atténuera les pics de prix si le marché flambe au-delà de 110 €/MWh, mais si les prix restent modérément élevés (entre 75 et 100 €/MWh), EDF n’en reversera qu’une partie (50% de la tranche intermédiaire), le reste étant à la charge des consommateurs. Une autre situation, pouvant démontrer une faille du mécanisme, consisterait pour EDF à vendre l’ensemble de sa production sur les marchés à terme mais à devoir racheter de l’électricité au prix SPOT, en cas de défaillance de ses centrales nucléaires, comme ce fut le cas en 2022. Dans ce cas, les consommateurs ne recevraient quasiment pas de protection, ou elle serait en tous les cas insuffisante pour les prémunir de ce surcoût.
Un autre enjeu réside dans la lisibilité et la transparence du nouveau mécanisme. Contrairement à l’ARENH (tarif fixe simple à comprendre), le VNU introduit une ristourne variable, calculée annuellement selon des paramètres techniques (revenus d’EDF, coûts du combustible, décisions de la CRE, etc.). Au moment d’établir un contrat, il sera difficile pour une entreprise ou un ménage de prévoir avec certitude le montant futur du VNU sur sa facture. Tant que les modalités précises de redistribution n’auront pas été éprouvées, il subsiste une zone d’ombre sur l’efficacité du VNU à réellement compenser les hausses pour chaque profil de consommateur.
Compétitivité du prix de l’électricité en France, à quoi faut-il s’attendre avec le VNU ?
La France bénéficiait d’un avantage compétitif en matière de coût de l’électricité, grâce à son parc nucléaire amorti offrant un kWh peu cher. L’ARENH a contribué à prolonger cette compétitivité en maintenant une partie de l’électricité à un tarif très bas pour tous les fournisseurs. En deuxième semestre 2024, le prix de l’électricité payé par les entreprises en France était en 11ème position au sein de l’UE, sans prendre en compte le bénéfice de l’ARENH, qui ferait entrer la France dans le top 3 européen. La question est de savoir si cet avantage perdurera dans le nouveau contexte du VNU.
Avec la fin de l’ARENH, le prix de base de l’électricité nucléaire remonte à 60 €/MWh (niveau du coût complet estimé), ce qui va rapprocher le coût de l’électricité française de celui de ses voisins européens, toutes choses égales par ailleurs. Les tarifs réglementés de vente en particulier, qui intégraient indirectement le bénéfice de l’ARENH, seront impactés par ce relèvement du prix de référence de 42 à 60 €/MWh. Cela signifie que les ménages et entreprises françaises pourraient voir leur électricité devenir moins bon marché qu’auparavant, réduisant l’écart positif dont ils jouissaient. Certaines industries électro-intensives, comme la chimie, la métallurgie, etc., qui bénéficiaient fortement de l’ARENH, craignent une érosion de leur compétitivité-coût.
Néanmoins, la compétitivité doit être examinée sur l’ensemble du cycle de prix. En cas de nouvelle flambée européenne des prix de gros, le VNU jouera comme un plafond mobile qui pourrait maintenir les prix français en deçà de ceux de pays sans mécanisme équivalent. Par exemple, si le prix du marché atteignait 150 €/MWh en 2026, le VNU limiterait l’impact pour les consommateurs français en restituant l’essentiel de la part au-dessus de 110 €/MWh (90%). Ainsi, le VNU agit comme un amortisseur qui pourrait faire que, lors de crises, les tarifs français se révèlent plus modérés que chez nos voisins, soutenant la compétitivité des industries locales à un moment critique. En revanche, sur des périodes de prix “normaux” (60–80 €/MWh), la France n’aura plus l’avantage d’un tarif nucléaire bradé et alignera ses prix sur le marché, tout en continuant à bénéficier de la faible empreinte carbone et de la stabilité du nucléaire domestique.
En termes macroéconomiques, le prix de l’électricité en France devrait rester compétitif en valeur absolue tant que le parc nucléaire assure une production bas carbone abondante à coût marginal faible. Le VNU ne remet pas en cause cette réalité physique, il en change principalement la répartition de la rente. À moyen terme, la compétitivité française se jouera aussi sur la capacité à investir dans de nouveaux moyens de production pilotables (nucléaire, hydraulique) pour garder une base de coût stable, et sur la gestion de la demande. Le nouveau mécanisme devra prouver qu’il sait trouver le bon compromis entre encourager ces investissements, via une meilleure rémunération d’EDF, et maintenir un avantage prix pour les consommateurs finaux grâce à la redistribution en cas de hauts revenus.
Critère | ARENH | VNU |
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Mécanisme de prix |
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Volume concerné |
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Durée du dispositif |
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Fonctionnement |
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Bénéficiaires |
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Régulation & Arbitrage |
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Objectif |
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Fin de l’ARENH et VNU : quel impact pour les factures d’électricité des entreprises ?
Exemple de budget énergie avec et sans ARENH
La fin de l’ARENH est loin d’être anodin pour les entreprises. Pour illustrer les différences entre un budget avec ARENH et sans droit ARENH, le tableau ci-dessous propose ce que pourrait être un budget 2026, selon certaines caractéristiques définies de compteur et un prix de marché pris à un instant T :
Ligne budgétaire | 2026 (si l’ARENH était maintenue) | 2026 hors ARENH |
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Prix de marché | 88,79 €/MWh | 88,79 €/MWh |
Droits ARENH (42 €/MWh) | 70 % | na |
Prix final de l’électron | 56,037 €/MWh | 88,79 €/MWh |
Les recommandations d’OMNEGY
La fin programmée de l’ARENH représente un changement majeur dans la stratégie d’approvisionnement énergétique des entreprises françaises. Désormais, 100 % des consommations d’électricité devront être acquises sur le marché libre, exposant ainsi directement les entreprises aux fluctuations et à la volatilité des marchés énergétiques. Cette nouvelle donne impose aux entreprises une profonde révision de leur approche budgétaire et de leurs pratiques d’achat d’énergie, longtemps considérées comme des charges fixes.
Dans ce contexte, la première recommandation est claire : les entreprises doivent impérativement reprendre le contrôle de leur stratégie d’approvisionnement électrique. Cela implique de fixer des objectifs budgétaires précis accompagnés de prix cibles réalistes et de saisir rapidement les opportunités offertes par les marchés. Dès qu’un niveau de prix cible est atteint, les décideurs doivent être prêts à anticiper leurs achats et à contractualiser rapidement, même sur des horizons à moyen terme, à condition que les contrats restent sans engagement contraignant. Cette démarche proactive permet de sécuriser les budgets et de limiter les impacts négatifs des éventuelles hausses futures.
Par ailleurs, les entreprises gagneront à considérer désormais l’électricité comme une véritable matière première. Cette approche implique d’aligner leur politique d’approvisionnement énergétique avec leur stratégie commerciale, en corrélant étroitement les achats d’énergie aux prévisions de ventes et aux marges associées. En procédant ainsi, les entreprises peuvent protéger leurs marges en sécurisant leur coût énergétique et, in fine, renforcer leur compétitivité.
Parallèlement, il est essentiel d’explorer activement les moyens permettant de réduire structurellement l’exposition directe des entreprises aux variations du marché. L’autoproduction énergétique, via des projets photovoltaïques ou encore la valorisation de la chaleur fatale issue des processus industriels, constitue une piste à creuser. De plus, les projets d’économie d’énergie, parfois relégués à un second plan, doivent être réévalués en priorité, car ils présentent un double avantage : un retour sur investissement (ROI) intrinsèque souvent rapide, couplé à une réduction significative de l’exposition au marché de l’électricité. À terme, ces investissements renforceront considérablement la résilience économique des entreprises face aux aléas des prix énergétiques.
Enfin, la volatilité accrue des prix depuis la crise énergétique doit être perçue comme une véritable opportunité pour les entreprises capables d’adapter leur consommation électrique. Toute flexibilité, même modérée, devient désormais une ressource précieuse qui permet de tirer profit des périodes où les prix du marché sont particulièrement avantageux. Les entreprises capables de moduler leurs consommations énergétiques en fonction des signaux de prix seront en mesure de transformer ce nouveau risque en un levier d’optimisation budgétaire performant et durable.