Dans un contexte marqué par l’accentuation des aléas climatiques et la volatilité des approvisionnements, les dispositifs d’interruptibilité et de délestage du gaz constituent des leviers essentiels pour garantir la résilience du système gazier français. Cet article propose une analyse de ces mécanismes.

Cadre réglementaire lié à l’interruptibilité du gaz

Le dispositif d’interruptibilité du gaz repose sur un accord volontaire (donc non obligatoire) entre un client industriel et le gestionnaire de réseau (NaTran/ex-GRTgaz, GRDF ou Terega), permettant de réduire ou de couper sa consommation de gaz dans un délai de 24 heures à réception d’un ordre, pour un cumul maximal de 240 heures par année gazière.

Au 1er avril 2025, la CRE a estimé l’assiette de modulation hivernale – soit la consommation susceptible d’être compensée grâce aux capacités interruptibles – à 2 161 GWh/j (dont 2 118 GWh/j sur le réseau de distribution et 43 GWh/j sur le transport), en diminution de 3,7 % par rapport à l’année précédente.

Les économies réalisées grâce à la mise en place d’un dispositif d’interruptibilité peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros annuels pour les sites les plus énergivores, justifiant la souscription au dispositif malgré son caractère interruptif. En effet, bien que le test annuel d’activation améliore la fiabilité des prévisions, l’absence de visibilité peut compliquer la planification des process industriels, notamment dans la chimie et la sidérurgie.

Cadre réglementaire lié au délestage du gaz

Le dispositif de délestage du gaz, quant à lui, s’impose comme un mécanisme contraignant, activé en dernier recours lorsque les capacités interruptibles sont épuisées. Selon le décret n°2022-495 du 7 avril 2022, les sites « délestables » (ceux ayant consommé plus de 5 GWh l’année précédente) doivent être en mesure de réduire ou d’arrêter leur consommation sous deux heures après notification. Cette mesure vise avant tout à protéger les consommateurs résidentiels et les missions d’intérêt général (sécurité, défense, santé…) en période de tension sévère sur le réseau de GRDF (ou de Terega).

Depuis 2020, une enquête annuelle est adressée par les gestionnaires de réseaux aux consommateurs de gaz ayant une consommation annuelle de référence (CAR) supérieure ou égale à 5 GWh /an. Elle vise à déterminer les sites qui pourront être potentiellement délestés, tout en mesurant l’impact économique en cas de réduction ou d’arrêt de leur consommation en gaz naturel. A partir de ces réponses, les Préfets des départements établissent la liste des sites délestables et l’ordre de priorité en cas d’ordre de délestage.

L’activation du délestage peut durer de quelques heures à plusieurs jours en cas de conjonction de niveaux de stockage bas et de températures exceptionnellement froides en fin d’hiver. Interrogés dans le cadre de l’“enquête délestage” annuelle, les grands consommateurs de gaz font état d’impacts significatifs sur leur chaîne de production : le risque de coupure prolongée peut générer des besoins de redondance dans les équipements de secours et des clauses contractuelles spécifiques avec leurs donneurs d’ordre.

Mise en œuvre de l’interruptibilité et du délestage du gaz : complexité opérationnelle et enjeux de conformité

Sur un plan technique, la mise en œuvre de l’interruptibilité exige une intégration approfondie des automates de suivi de consommation et une qualification précise des volumes sous contrat. Les gestionnaires de transport effectuent chaque année un test de passage de charge pour mesurer l’aptitude des sites à répondre aux ordres, sous peine de pénalités financières.

Sur le plan contractuel, les acteurs doivent jongler entre interruptibilité « secondaire » et « garantie », deux volets réglementés respectivement par l’arrêté du 17 décembre 2019 (modifié par l’arrêté du 7 octobre 2022) et par les avis successifs de la CRE en matière d’équilibre du réseau gazier. Enfin, l’obligation de répondre à l’enquête délestage conditionne l’éligibilité au mécanisme ; tout manquement peut entraîner une désignation d’office comme délestable et l’application de sanctions en cas d’inexécution d’un ordre.

Résumé des dispostifs d’interruptibilité et de délestage selon les acteurs

Acteur Interruptibilité Délestage
GRDF
  • Contrats volontaires pour les sites ayant une consommation ≥ 5 GWh/an
  • Activation du dispositif en 24 h (interruptibilité jusqu’à 240 h/an)
  • Compensation de stockage
  • Obligation pour les sites ayant une consommation > 5 GWh/an
  • Réduction/arrêt des consommations sous 2 h
NaTran (ex-GRTgaz)
  • Interruptibilité « secondaire » et « garantie » via des appels d’offres
  • Activation du dispositif en 24 h
  • Obligation pour les sites ayant une consommation > 5 GWh/an
  • Réduction/arrêt des consommations sous 2 h
Consommateur
  • Réception et accusé-réception des ordres d’interruptibilité donnés
  • Respect des volumes journaliers/plafonds contractuels
  • Réponse obligatoire à l’enquête annuelle
  • Sanctions en cas de refus

Perspectives et défis stratégiques des mécanismes d’interruptibilité et de délestage du gaz

À l’horizon 2030, l’introduction croissante du biométhane et du gaz vert dans le mix renforce l’enjeu de flexibilité du réseau. Les capacités interruptibles pourraient être valorisées via des plateformes de marché de flexibilité, ouvrant la voie à des mécanismes de stacking entre services électriques et gaziers. Par ailleurs, la digitalisation accrue des infrastructures (IoT, jumeaux numériques) permettra d’affiner la prédictibilité des déclenchements et de réduire les délais de réponse.

Sur le plan économique, les grands consommateurs doivent arbitrer entre coûts de non-fourniture (pertes opérationnelles et pénalités) et gains liés aux réductions de contribution au stockage. Les retours d’expérience soulignent que la négociation de contrats flexibles, intégrant des options de bascule automatique, constitue un avantage compétitif pour les sites à forte intensité énergétique.

Enfin, la conformité réglementaire, sous l’égide de la CRE et du ministère de la Transition énergétique, demeure un socle indispensable pour garantir la sécurité d’approvisionnement tout en préservant la compétitivité industrielle nationale.

Conclusion

Les mécanismes d’interruptibilité et de délestage illustrent la complexité technique et réglementaire inhérente à la gestion de la flexibilité dans le secteur gazier.

En conciliant engagement contractuel, optimisation économique et impératif de sécurité d’approvisionnement, ces dispositifs évoluent constamment sous l’impulsion des autorités de régulation et des innovations technologiques. Pour les opérateurs industriels, la maîtrise fine de ces mécanismes et l’anticipation des évolutions réglementaires sont des facteurs clés de résilience et de performance dans un marché de plus en plus volatil.

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