Le marché du carbone est l’une des pierres angulaires de la politique climatique européenne, au même titre que le règlement du partage de l’effort (Effort Sharing Regulation – ESR) et la politique UTCF. Peut-être en avez-vous déjà entendu parler sous le terme de European Emissions Trading Scheme (EU ETS), en français Système Communautaire d’Echange de Quotas d’Emissions de l’Union Européenne (SCEQE ou SEQE). Comment fonctionne le marché du carbone européen ? Quel impact et quelles contraintes pour les entreprises ? OMNEGY fait le point.
1. Le marché du carbone, une réponse aux objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre
Le marché du carbone constitue une réponse aux objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour comprendre pourquoi il a été mis en place, il faut remonter à 1997, lors du Protocole de Kyoto.
1. Protocole de Kyoto : retour aux prémices du marché du carbone
Le Protocole de Kyoto est un accord international visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Il vient compléter la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique. Signé le 11 décembre 1997, il entre en vigueur le 16 février 2005. Les 38 états les plus industrialisés au monde s’engagent alors pour la première fois à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Leur objectif est alors le suivant : réduire d’au moins 5% leurs émissions de six gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 1990. Les six gaz concernés sont le dioxyde de carbone CO2, le méthane CH4, le protoxyde d’azote N2O, les hydrofluorocarbures HFC, le perfluorocarbure PFC, et l’hexafluorure de soufre SF6.
Pour aider ces pays à atteindre leurs objectifs, le Protocole de Kyoto prévoit la création et le déploiement de trois mécanismes de flexibilité, parmi lesquels un marché du carbone international.
Le marché du carbone européen voit alors le jour le 1er janvier 2005. Il devient rapidement le moteur de la politique climatique européenne.
2. Quel est le fonctionnement du marché carbone ?
Aujourd’hui, plus de 11 000 installations industrielles et 500 opérateurs aériens sont concernées par le marché du carbone en Europe. En France, elles sont environ un millier. Ces installations industrielles totalisent à elles seules près de 40 % des émissions de dioxyde de carbone européennes, soit environ 1,12 milliards de tonnes de CO2 d’après la Commission européenne en 2023.
Les installations concernées évoluent dans les secteurs qui émettent le plus de gaz à effet de serre, tels que l’énergie et plus spécifiquement la production d’électricité, l’industrie (la sidérurgie, la fabrication de ciment, le raffinage et la chimie) et depuis 2012 l’aviation, avec principalement les compagnies aériennes pour les vols intra-européens. En France, on retrouve parmi les entreprises concernées des acteurs comme EDF, Total, ArcelorMittal ou encore Solvay.
Le marché du carbone impose un plafond d’émissions dégressif chaque année à ces installations industrielles. La réduction annuelle est passée à 2,2 % par an depuis 2021, contre 1,74 % auparavant.
L’une des composantes clés du fonctionnement du marché du carbone est ainsi l’allocation de ce que l’on appelle des quotas. Un quota représente le droit d’émettre une tonne de CO2.
Chaque année, les états européens déterminent le nombre de quotas auxquels ont droits les entreprises concernées par le marché du carbone. Cette allocation se fait en fonction du secteur d’activité de l’entreprise, et de la quantité de GES émise par les acteurs les plus verts de ce secteur. Certaines installations peuvent bénéficier de quotas gratuits, essentiellement pour deux raisons : ne pas fragiliser leur compétitivité, et éviter la fuite de carbone, c’est-à-dire la délocalisation d’activités émettrices de gaz à effet de serre vers des pays où la réglementation est plus souple. En 2023, le prix du carbone a dépassé les 90 € la tonne, contre 25,5 € en 2018.
Une fois les quotas alloués aux installations, deux cas de figure se présentent :
- Les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont inférieures au quota qui lui a été alloué: dans ce cas, l’entreprise peut revendre ses quotas sur le marché du carbone. Elle peut aussi décider de les garder pour plus tard. On appelle ce mécanisme la mise en épargne de quotas (banking).
- Les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont supérieures au quota qui lui a été alloué : dans ce cas, l’entreprise doit acheter des quotas supplémentaires sur le marché du carbone. Les entreprises peuvent également avoir recours à ce que l’on appelle l’emprunt de quotas (borrowing). En termes simples, cela leur permet d’utiliser de façon anticipée une partie de leurs quotas des années à venir.
Les échanges de quotas entre les différents acteurs du marché peuvent s’effectuer de trois façons différentes : sur les places de marché dédiées comme la European Energy Exchange (la Bourse européenne de l’énergie), directement entre entreprises ou via des intermédiaires, ou de gré à gré.
Les quotas européens ne sont pas les seuls actifs disponibles sur le marché. Les entreprises peuvent ainsi posséder deux types d’actifs :
- Des quotas issus d’autres systèmes d’échange avec lequel ont été définis des équivalences, comme d’autres marchés du carbone (hormis l’EU avec la Suisse, peu de marchés sont actuellement liés) ;
- Des crédits provenant de la conduite de projets permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre (ces crédits ne sont plus valides à partir de la phase 4 du EU-ETS).
Comme le souligne le Ministère de la Transition Ecologique, le marché du carbone européen repose sur trois piliers essentiels :
- Une nécessité de consigner les émissions et le respect ou non de leurs quotas par les différentes installations dans un registre communautaire. En France, ce registre est tenu par la Caisse des dépôts.
- Une capacité à s’assurer de l’exactitude des informations transmises par les installations.
- La possibilité d’attribuer des sanctions et pénalités : 100 € la tonne de CO2 en cas de non-respect de la compensation par un acteur obligé.
Depuis 2024, le SEQE a été réformé pour inclure de nouveaux secteurs, notamment le transport maritime. Par ailleurs, un second système d’échange de quotas (SEQE II) a été créé pour couvrir le secteur du transport routier et les bâtiments d’ici 2027.
3. Quels sont les équivalents du marché du carbone européen dans le monde ?
Le marché du carbone européen est le plus grand marché du carbone à l’échelle mondiale. Il n’est cependant pas unique. D’autres marchés du carbone ont été développés, dans l’ensemble des régions du monde. Le Québec a ainsi mis en place un marché du carbone en 2013. En 2014, il a choisi d’unifier son marché avec celui de la Californie dans le cadre de la Western Climate Initiative. Cela a donné lieu à l’apparition du plus grand marché du carbone en Amérique du Nord. Il s’agit également du premier marché du carbone regroupant des gouvernements infranationaux de pays différents. La Chine a également lancé son propre marché national d’échange de quotas d’émissions en 2018.
Certaines initiatives comme la Carbon Pricing Leadership Coalition militent aujourd’hui pour augmenter la part des émissions mondiales de carbone intégrées à un marché du carbone. L’objectif de cette coalition est que 25 % des émissions soit couvertes par une tarification carbone en 2020. Cet objectif est porté à 50 % à horizon 2030.
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2. Le marché du carbone, un mécanisme efficace ?
Le marché du carbone a tout d’abord peiné à trouver sa place. Longtemps décrié, on lui a souvent reproché son inefficacité et son incapacité à permettre à l’Europe d’atteindre son objectif climat : une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030. Certains sont même allés jusqu’à qualifier l’achat de carbone de simple « commodité » pour les entreprises. Mais sur quoi se fondent ces accusations ?
1. Les débuts balbutiants du marché du carbone
L’image du marché du carbone a grandement souffert de débuts balbutiants et de la difficulté rencontrée par le mécanisme à s’adapter à la conjecture économique.
En 2023, les émissions de gaz à effet de serre au sein de l’Union Européenne ont baissé de 37% par rapport aux niveaux de 1990. En cause, un essor sans précédent des énergies renouvelables, mais aussi la crise économique qui a suivi le crash de 2008, provoquant un ralentissement considérable de l’économie, de même avec le COVID-19 et la guerre en Ukraine en 2022. Si on peut à priori se réjouir de ces chiffres, on s’aperçoit néanmoins que cela n’a cependant pas été sans conséquence pour le marché du carbone et pour la croissance verte de l’Europe.
Beaucoup de quotas disponibles sur le marché ont ainsi été inutilisés par le passé. On parle alors de surplus de quotas. A titre d’exemple, ces quotas inutilisés étaient environ 1650 millions en 2018, soit l’équivalent d’une année complète d’émissions de gaz à effet de serre.
La conséquence directe de ce surplus de quotas disponibles a été un effondrement considérable du prix du carbone jusqu’à des prix inférieurs à 5 €/tonne comme en témoigne la courbe ci-dessous.
Dans un tel contexte, il est alors devenu plus avantageux financièrement pour les entreprises d’acheter des quotas supplémentaires, plutôt que d’engager des actions permettant de réduire leurs émissions. Le marché du carbone manque alors sa raison d’être : inciter les entreprises à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre.
2. Depuis 2013, des ajustements progressifs ont été faits pour renforcer l’efficacité du marché du carbone
Depuis 2013, différents ajustements ont été faits afin d’augmenter l’efficacité du marché du carbone européen. Parmi ces ajustements, on peut notamment mentionner :
- L’introduction d’un mécanisme d’achat des quotas aux enchères.
A partir de 2013, suite au franchissement symbolique de la barre des 5 euros par quotas, 40% des quotas ont été vendus aux enchères, au lieu d’être gratuitement distribués. Cette part de quotas vendus aux enchères a progressivement augmenté jusqu’en 2020, pour l’ensemble des secteurs. L’exemple de l’industrie manufacturière est frappant : en 2013, 80% de ses quotas lui avaient été gratuitement accordés. Ce chiffre a chuté à 30% en 2020. Depuis cette date, le chiffre reste stable mais le nombre de quotas en circulation a fortement chuté, passant de près de 2 000 millions en 2020 à environ 1 300 en 2024.
- L’introduction d’une réserve de stabilité du marché (market stability reserve).
La réserve de stabilité du marché est entrée en vigueur à partir de début 2019. Son objectif est d’assécher le surplus de quotas sur le marché du carbone, afin d’éviter une chute des prix. Son rôle est souvent comparé à celui d’une banque centrale des quotas. Les résultats de l’introduction de ce mécanisme de market stability reserve ont été édifiants : près de 397 millions de quotas carbone ont ainsi été retirés de la circulation suite à son introduction. Cela représente 24% des quotas de l’époque en 2019. Depuis, entre 10 et 20% des quotas en circulation sont mis de côté sous l’égide de ce mécanisme.
Ces deux mécanismes ont rapidement démontré leur efficacité, permettant alors au marché européen du carbone de faire ses preuves. Le prix du carbone est ainsi passé de 7 à 25,5 euros la tonne entre janvier et décembre 2018, puis n’a eu de cesse de progresser, principalement en 2021, pour dépasser les 80 €/tonne pour la première fois.
3. Quelles perspectives pour le marché du carbone ?
Lors de sa présentation de son programme « Fit for 55 » pour l’Europe le 14 juillet 2021, la Commission Européenne a dévoilé les moyens d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre au sein de l’Union Européenne. Ces-derniers, modifiés en 2019, doivent permettre à l’UE27 de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.
Pour permettre à l’Union Européenne d’atteindre cet objectif ambitieux, le marché du carbone va alors devoir subir de nouveaux ajustements :
- L’Union européenne a décidé de lancer SEQE 2, séparé du premier SEQE, afin de contribuer à atteindre son objectif de réduction de 55 % d’ici à 2030. Il vise une réduction de 43 % des émissions d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Le système sera introduit à partir de 2026, la surveillance et l’établissement de rapports commençant en 2025. Toutefois, la mise en œuvre complète pourrait être retardée jusqu’en 2028 en cas de prix du gaz ou du pétrole exceptionnellement élevés en 2026.
- Le SEQE II couvrira la distribution de carburants pour les bâtiments et le transport routier, ainsi que d’autres secteurs (principalement la petite industrie, qui représente environ 12 % des secteurs du SEQE 2). Le secteur du bâtiment représente 36 % des émissions de GES liées à l’énergie dans l’UE, bien que plus de la moitié de ces émissions soient déjà couvertes par le système d’échange de quotas d’émission existant, par le biais de la production d’électricité et du chauffage urbain. Le transport routier est responsable d’environ 20 % des émissions de GES et a connu une croissance importante au cours des 30 dernières années. Il couvrira des carburants tels que l’essence, le diesel, le kérosène, le GPL, le gaz naturel, le fioul lourd, le charbon et le coke, tandis que la tourbe, la biomasse et certains combustibles dérivés de déchets en sont exclus.
4. Quels sont les impacts de la tarification du carbone sur la stratégie de votre entreprise ?
Concrètement, si vous êtes une entreprise industrielle faisant partie des installations françaises soumises au SCEQE, la prochaine décennie va être décisive pour votre performance économique et opérationnelle, et surtout pour la viabilité de votre entreprise à long terme. Vous allez devoir arbitrer entre compenser vos émissions en achetant des quotas ou investir dans des technologies moins polluantes pour réduire votre empreinte environnementale dès à présent.
Selon votre situation, il est alors nécessaire de définir plusieurs paramètres, et notamment le coût auquel il devient plus rentable pour votre entreprise de modifier ses méthodes de production plutôt que d’acheter des quotas d’émission.
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