Ces dernières semaines, le prix du gaz en Europe a connu des baisses de prix sans précédent depuis ces dernières années. Le TTF front-month (indice de référence en Europe) a diminué de près de 40 % depuis le début de l’année 2025, au plus bas niveau depuis février 2022, à 27,50 €/MWh au 9 décembre 2025. Un constat similaire peut être observé sur le prix des contrats calendaires, s’étalant de 2026 à 2029, avec des points bas actuels qui n’ont pas été atteints depuis de nombreux mois.
Dans ce contexte baissier, tout acheteur d’énergie averti doit se tenir prêt à prendre position, car bien que la conjoncture soit favorable en ce début d’hiver, il convient de ne pas oublier que le marché du gaz européen est interconnecté à d’autres marchés : les Etats-Unis, premier fournisseur en GNL du continent (58 % du GNL importé en 2025) et l’Asie, le rival systémique, face auquel l’Europe doit proposer un prix plus attractif pour sécuriser son approvisionnement par méthanier.
Ce décryptage sommaire vise à mieux comprendre les relations gazières entre ces grandes zones de production et de consommation d’énergie, et de mettre en lumière les raisons qui pourraient provoquer un rebond du prix du gaz en UE27, dans les semaines à venir.
Situation du gaz en Europe à fin 2025
Le prix du gaz en Europe a pu diminuer ces derniers mois grâce à un ensemble de facteurs, qu’il convient de rappeler synthétiquement :
- L’approvisionnement en gaz de l’Europe est principalement assuré par les importations par pipeline en provenance de Norvège, et par GNL du côté maritime. Dans les deux cas, celles-ci ont pu demeurer à des niveaux élevés au cours de l’année 2025. Les importations de GNL ont rebondi de manière significative, de l’ordre de 25 % sur l’année en comparaison de 2024.
- La production renouvelable a été très importante en Europe, avec 45,5 % de l’électricité produite à partir de cette source, contre seulement 14,7 % pour le gaz naturel. Ce moindre usage du gaz dans la production électrique a contribué à réduire les prix de celui-ci, ainsi que de l’électricité, tout en préservant les stockages.
- La demande gazière du continent reste relativement faible en 2025, de manière assez similaire à l’année 2024, sans rebond majeur de la consommation en octobre, novembre ou bien encore début décembre. Des températures globalement au-dessus de la moyenne ont permis d’éviter tout sursaut d’ampleur de la demande en gaz naturel. Celle-ci s’est par exemple située 7,1 % en dessous des niveaux de consommation de novembre 2024 pour le mois de novembre 2025.
- Les stockages, bien que moins remplis qu’en 2024, ont réussi à être maintenus à plus de 80 % de remplissage jusqu’au 21 novembre, et se situent désormais à 72,3 % de remplissage. Cela pourrait constituer un point d’attention particulier, étant donné qu’ils sont moins remplis que l’année précédente, qu’en 2023 ou bien encore en 2022, mais l’approvisionnement est également plus élevé, la demande plus faible et les prévisions météorologiques n’annoncent aucune vague de froid pour le moment.
- La pression géopolitique et la prime qui s’appliquait sur le prix du gaz en Europe ont diminué, avec les propositions américaines sur un plan de paix entre l’Ukraine et la Russie.
Le marché reste donc rassuré par la situation d’ensemble sur ces fondamentaux et ainsi, une tendance baissière de fond a pu se mettre en place. Toutefois, celle-ci pourrait être remise en cause par la dépendance qu’entretient l’Europe avec les producteurs de GNL américains, qui nécessitent un certain prix sur le marché européen pour rester rentables et envoyer leurs cargaisons sur le Vieux Continent.
Focus sur le marché du gaz aux Etats-Unis
La bourse du gaz américain, le Henry Hub, est l’indice de référence pour le prix du gaz dans ce pays. Grâce à la fracturation hydraulique et à l’extraction du gaz de schiste, les États-Unis ont connu, depuis 2016, un boom sans précédent de leur production gazière et ont pu bâtir des infrastructures tournées vers l’exportation de GNL dans le monde entier. En tant que premier producteur et exportateur mondial de GNL, ils ont une place prépondérante en UE27, pour laquelle ils fournissent la majeure partie du GNL que nous importons chaque jour (58 % en 2025).
Cette position dominante a toujours profité aux Américains, leur donnant un avantage non négligeable sur le prix de leur gaz et donc la compétitivité de leurs industries, tout en leur permettant d’exporter du GNL en Europe, en Asie ou bien encore en Amérique du Sud. Cependant, le secteur se retrouve actuellement sous tension, si bien que les prix du gaz outre-Atlantique sont désormais au plus haut depuis décembre 2022, à près de 14 €/MWh.
Cette hausse du prix du gaz, de plus de 50 % depuis le début de l’année, résulte de plusieurs facteurs, liés à l’économie américaine, aux conditions météorologiques, ainsi qu’aux fondamentaux du secteur gazier :
- le pays connaît actuellement des conditions hivernales très rigoureuses, qui ont poussé assez fortement à la hausse la consommation gazière du pays, de 15 à 20% au-dessus de la normale saisonnière, mettant la pression sur l’infrastructure gazière et sur les stocks.
- les États-Unis ont à la fois massivement exporté du GNL en 2025 (83 milliards de m³ pour l’UE27 + Royaume-Uni) et injecté de grandes quantités de gaz dans leurs stockages au Q2 et Q3 2025. Le pays a donc dû supporter : une hausse des injections gazières, une hausse de la demande du fait d’un froid arctique et une hausse des volumes de gaz exportés à l’international. Cette triple hausse a donc nécessairement eu un impact haussier sur le prix du gaz localement.
- la production éolienne a été plutôt faible dernièrement aux États-Unis, ce qui a fait remonter la production électrique à partir de gaz naturel dans le pays. Celle-ci représente 42% de la capacité électrique installée dans le pays en 2025 et son usage s’accroît également du fait de la consommation toujours plus élevée des data centers en électricité.
L’ensemble de ces facteurs est donc responsable de la situation haussière sur le gaz aux États-Unis, qui n’est pas sans conséquences pour l’Europe, puisque celle-ci a vu le prix de son gaz diminuer, réduisant l’écart de prix entre les deux zones et donc la compétitivité du prix européen face à son homologue asiatique, le JKM, qui s’est plutôt maintenu.
Implications d’une baisse du prix du gaz en Europe face à une forte hausse aux Etats-Unis
Pour comprendre pourquoi la situation sur le prix du gaz aux États-Unis est importante en Europe, il convient de décrypter rapidement comment les coûts dans la filière du GNL sont segmentés, pour en tirer des estimations sur le prix que l’Europe doit proposer afin de garantir l’attractivité de son marché face à l’Asie, et ainsi ne pas perdre de précieuses cargaisons au cours de l’hiver.
Il existe principalement deux métriques : le SRMC (Short-Run Marginal Cost) ou le LRMC (Long-Run Marginal Cost), qui servent chacune à estimer l’opportunité d’envoyer, soit un méthanier en Europe pour le court terme, soit de vérifier si le GNL américain reste opportun à développer, pour des débouchés en Europe.
| Item de coût | SRMC | LRMC | Commentaire |
|---|---|---|---|
| Alimentation en gaz eu Henry Hub | √ | √ | Vous devez acheter du gaz si vous le liquéfiez (ou renoncez à le vendre sur le marché intérieur) |
| Combustible pour liquéfier le gaz (volume extra) | √ | √ | Variable, typiquement 15% du prix du Henry Hub |
| Frais fixes de liquéfaction | X | √ | Indexé à l’inflation, couvre les CAPEX et les coûts de financement |
| Frais d’exploitation et d’entretien variables à l’usine | √ | √ | Coût négligeable |
| Coût du voyage d’un méthanier | √ | √ | « Charter rate » + carburant, variable pour chaque navire |
| Frais portuaires, droits de canal | √ | √ | Variable pour un voyage en Europe ou en Asie |
| Frais de terminaux de regazéification en Europe | √ | √ | Variable pour chaque port disposant de l’infrastructure |
| Transport par pipeline du terminal au point d’entrée du TTF | √ | √ | Tarif variable d’entrée et sortie par port d’arrivée |
Alors que le coût marginal à court terme (SRMC) détermine les mouvements de cargaisons sur le marché quotidien, le coût marginal à long terme (LRMC) est la référence appropriée pour évaluer la capacité de l’Europe à attirer et à retenir structurellement le GNL américain. Le SRMC exclut les coûts fixes de liquéfaction et reste donc inférieur au TTF, même dans un contexte de prix bas en Europe. Le LRMC, en revanche, intègre l’intégralité des coûts de liquéfaction et constitue l’indicateur pertinent pour les décisions d’investissement et les contrats à long terme.
Le fait que le LRMC du GNL américain soit désormais supérieur au TTF pour la première fois depuis 2021 suggère que l’Europe n’envoie peut-être plus un signal fort aux exportateurs américains en matière de prix à long terme. Cette évolution soulève des questions quant aux futurs flux d’investissement dans le GNL, au renouvellement des contrats et à la sécurité d’approvisionnement à moyen terme du continent.
Les conséquences d’une baisse du prix du gaz en Europe sur les importations de GNL
Une autre composante de cette analyse concerne également le prix du gaz proposé en Asie, en comparaison de celui en Europe ou aux États-Unis. Le graphique ci-dessus montre clairement un décrochage du prix européen alors que celui en Asie demeure bien supérieur à 30 €/MWh. Dans un contexte de hausse du prix du gaz américain et de baisse du prix européen, il risque de s’avérer plus rentable d’envoyer du GNL en Asie plutôt qu’en Europe.
Le 19 novembre 2025, la marge pour un méthanier américain (SRMC cette fois) transportant du gaz en Asie, était de 0,40 €/MWh supérieur à celle en Europe. Cela faisait depuis le mois d’août que l’Asie ne proposait pas de meilleur prix que l’UE27 pour obtenir du GNL américain. Depuis le 19 novembre, l’Asie a proposé un meilleur prix qu’en Europe à 9 reprises en 13 jours de cotation.
La baisse des prix en Europe s’est accompagnée d’une diminution des volumes réceptionnés de GNL : alors qu’ils survolaient à plus de 4 TWh/j réceptionnés jusqu’au 21 novembre pour l’Allemagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne et la Pologne combinés, ils ne sont désormais plus qu’à 2,7 TWh/j au 8 décembre, soit une diminution de l’ordre de 33 % en l’espace de trois semaines. Également, le GNL américain, qui a représenté plus de 55% du GNL global importé dans ces pays entre janvier et octobre 2025, est tombé à une part de 42 % au courant du mois de novembre.
Conclusion
L’analyse réalisée permet donc de conclure que les prix actuels du gaz en Europe ne sont pas soutenables pour maintenir un niveau d’approvisionnement élevé en GNL, principalement américain, et sécuriser des cargaisons suffisantes face à l’Asie. Historiquement, le prix du gaz en Europe et en Asie finit toujours par converger à nouveau. Dans ce cas de figure, il faut soit que le prix du gaz en Asie diminue, ou celui en Europe remonte. Il apparaît, à la vue des coûts du GNL américain, que l’Europe n’est pas si bien positionnée pour garantir un approvisionnement stable dans la durée, et qu’elle devra nécessairement proposer un prix du gaz supérieur, pour continuer à s’approvisionner, à plus de 50 %, en GNL, auprès des États-Unis.
Il s’agit donc à présent de suivre ces indicateurs économiques, tout en préparant un tunnel de prix et se préparer à une remontée prochaine des prix du gaz en Europe. Afin de ne pas subir un mouvement haussier de plein fouet, il convient d’acheter son gaz en plusieurs blocs lorsque cela est possible, avec un tunnel de prix bas / haut pour gérer son risque, ou alors de prendre position sur un prix fixe, plutôt bas et accessible en cette période.
N.B. : au 9 décembre 2025, le prix du gaz en France remonte de 0,67 €/MWh pour janvier 2026, à 26,72 €/MWh et de 0,44 €/MWh pour l’année 2026, à 26 €/MWh.
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