Le 28 avril 2025 à 12h33, un blackout massif a frappé l’Espagne, le Portugal et le sud de la France, provoquant des perturbations majeures dans les transports, les communications et les services.
Cet incident est considéré comme l’un des plus graves de l’histoire énergétique européenne. Près de 60 % de la demande électrique espagnole, soit environ 15 GW de capacité, ont été brutalement déconnectés. Afin de limiter la propagation de la panne, les interconnexions entre la France et l’Espagne ont été volontairement coupées.
Red Eléctrica a indiqué qu’au point le plus critique du blackout, la production électrique de toute la péninsule ibérique était tombée à zéro. Des données préliminaires, initialement erronées, avaient estimé un maintien autour de 10 GW. Les causes exactes de l’incident restent à confirmer, mais plusieurs éléments sont d’ores et déjà connus. Deux événements de déconnexion successifs dans le réseau électrique ont précédé la panne. Aucune preuve de cyberattaque n’a été identifiée à date, bien que les investigations soient toujours en cours. La piste d’un phénomène atmosphérique rare a été rapidement écartée par les agences météorologiques espagnole et portugaise. La théorie la plus crédible évoque une chute rapide de la fréquence du système électrique sous le seuil critique de 50 Hz, déclenchant des coupures automatiques et une défaillance en cascade.
Malgré l’ampleur de la panne, environ 99 % de l’approvisionnement électrique a été rétabli dans les 24 heures. Le rétablissement s’est appuyé sur des procédures lourdes et complexes, impliquant notamment un redémarrage du réseau “à froid”.
Un réseau électrique repose sur une condition de base : à tout instant, la production d’électricité doit égaler la consommation. Tout déséquilibre, même minime, affecte la fréquence du système, fixée à 50 Hz en Europe. Une baisse durable peut entraîner une désynchronisation et, à terme, un effondrement du réseau. Pour maintenir cet équilibre, plusieurs mécanismes sont mobilisés. Les réserves primaires et secondaires permettent aux producteurs d’ajuster leur puissance en quelques secondes ou minutes. L’effacement de consommation permet d’adapter la demande en sollicitant des acteurs flexibles, comme les industriels ou les réseaux intelligents. Le stockage d’énergie, à travers les batteries ou les stations de pompage-turbinage, joue également un rôle clé dans le lissage des pics de consommation. Enfin, les interconnexions régionales offrent la possibilité de compenser des déséquilibres locaux grâce aux flux d’import-export.
Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de pannes de réseau majeures. Une surcharge ou un déséquilibre entre production et consommation peut provoquer une chute de fréquence suivie de coupures en cascade. Des défaillances techniques, liées à l’obsolescence des équipements ou à des erreurs de coordination, peuvent également engendrer des coupures massives. Les conditions météorologiques extrêmes, comme les tempêtes ou les vagues de chaleur, exercent une pression supplémentaire sur les infrastructures. Les erreurs humaines ou les cyberattaques constituent enfin des risques croissants dans un système de plus en plus automatisé.
L’histoire récente recense plusieurs pannes significatives sur le continent. En 1978, la France a connu une perte d’électricité sur 60 % de son territoire à cause d’une surcharge sur une ligne à 400 kV. En 1987, l’Italie a subi une coupure nationale liée à un défaut dans un poste de transformation. En 2003, toujours en Italie, 56 millions de personnes ont été privées de courant suite à une défaillance d’une ligne suisse, provoquant une cascade de coupures. En 2006, une désynchronisation du réseau européen a affecté 15 millions de foyers. En 2021, la zone des Balkans a été isolée du reste du continent suite à une surcharge mal anticipée. Enfin, en 2025, l’effondrement de la fréquence survenu en Espagne et au Portugal a montré que le risque demeure bien réel.
L’incident d’avril 2025 a ravivé les inquiétudes sur la résilience des réseaux européens. Le réseau électrique de l’Union européenne date majoritairement du siècle dernier, et près de la moitié des lignes ont plus de 40 ans. Les besoins liés à l’électrification croissante, aux centres de données et aux véhicules électriques imposent une modernisation profonde. Pourtant, alors que les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables ont presque doublé depuis 2010, ceux consacrés aux réseaux stagnent autour de 300 milliards de dollars par an. Selon l’Agence internationale de l’énergie, ce montant devra doubler pour atteindre plus de 600 milliards de dollars par an d’ici 2030.
L’an dernier, les entreprises européennes ont investi 80 milliards d’euros dans la modernisation du réseau électrique, contre 50 à 70 milliards les années précédentes. Ce niveau devra atteindre 100 milliards par an pour mettre à niveau l’infrastructure. La Commission européenne estime que 2 000 à 2 300 milliards de dollars d’investissements seront nécessaires d’ici 2050 pour moderniser les infrastructures. En parallèle, l’interconnexion reste insuffisante. L’Espagne n’a que 5 % de sa capacité de production connectée hors péninsule. Une nouvelle liaison via le golfe de Gascogne devrait doubler la capacité d’échange avec la France, dans le cadre d’un objectif européen de 15 % d’interconnexion d’ici 2030.
Les défis posés par l’essor de l’éolien et du solaire ne se limitent pas à la seule modernisation des réseaux. Ils impliquent aussi un besoin croissant de production de secours. Contrairement aux centrales classiques, les installations solaires et éoliennes produisent du courant continu, nécessitant des conversions complexes pour maintenir la fréquence du réseau. En cas de chute de fréquence, des mécanismes de protection automatiques peuvent découpler des centrales pour éviter des dommages matériels, ce qui, s’il est massif, peut entraîner un blackout.
L’Espagne prévoit de fermer l’ensemble de ses réacteurs nucléaires d’ici 2035, ce qui accentue les risques sur la stabilité de l’approvisionnement. Au Portugal, seuls deux sites – un gaz et un hydraulique – peuvent servir de centrales de secours rapide. La France, quant à elle, mise sur la stabilité de son parc nucléaire mais doit renforcer ses capacités d’échange frontaliers. Des solutions émergent, comme l’installation massive de batteries en Europe (10,8 GW installés aujourd’hui, objectif de 50 GW d’ici 2030), bien en deçà des 200 GW nécessaires selon les professionnels du secteur. Des technologies alternatives, comme le volant d’inertie développé en Irlande, complètent cet éventail d’outils de stabilisation.
En conclusion
Les enseignements sont clairs : sans réseaux robustes et interconnectés, la transition énergétique européenne ne pourra être ni résiliente ni durable. Le développement de l’intelligence artificielle, du stockage et de la flexibilité doivent s’accompagner d’investissements massifs. Il est désormais impératif de penser le système énergétique comme un tout, où la sécurité, la modernité et le développement des interconnexions européennes sont des piliers incontournables.